« Les idées d’extrême droite arrivent à prendre sur des territoires de la Résistance »

Alors que des groupuscules d’extrême droite annoncent un rassemblement discret à Châteaubriant, le collectif Réveillons la Résistance organise une contre-mobilisation citoyenne le 14 juin. Entretien avec une de ses militantes.

Juliette Heinzlef  • 10 juin 2025 abonné·es
« Les idées d’extrême droite arrivent à prendre sur des territoires de la Résistance »
Le 3 juillet 2024, une marche rurale, sociale et syndicale, organisée par le collectif Réveillons la résistance, à Châteaubriant.
© Vanina Delmas

E.F. est habitante de la région de Châteaubriant (Loire-Atlantique) et membre du comité Réveillons la résistance. Le collectif organise un rassemblement le 14 juin prochain pour protester contre la venue de groupuscules néonazis dans le pays de Châteaubriant, territoire marqué par l’histoire de la Résistance. Dispersés entre Rennes, Nantes, Angers et Tours, ces militants d’extrême droite sont issus de mouvements comme l’Action française, le Mouvement chouan, ou encore l’Alvarium – collectif dissous par Gérald Darmanin en 2021, mais dont des membres se sont depuis réorganisés notamment autour du RED Angers et du Mouvement chouan – un mouvement catholique identitaire. Rencontre avec une militante engagée.

Comment appréhendez-vous la mobilisation du 14 juin, et y a-t-il un risque de confrontation avec ces groupuscules ?

E.F. : Nous organisons une mobilisation le même jour que leur rassemblement, mais ce n’est pas au même endroit. C’était important pour nous de faire justement un événement familial, festif, qui vienne affirmer qu’on est nombreux et qu’on ne veut pas que cette idéologie débarque dans nos campagnes. L’idée n’est pas d’aller à l’affrontement, on refuse de défendre nos idées de la même manière qu’eux et c’est aussi important de le rappeler. L’année dernière, on a fait un événement durant l’entre-deux-tours des législatives qui s’appelait « Réveillons la résistance ». On s’est retrouvés à plus de 500 personnes pour commémorer la mémoire des fusillés de Châteaubriant et appeler à réveiller la résistance contre l’extrême droite et ses idées. On a montré que la mobilisation citoyenne était au rendez-vous, et elle le sera de nouveau le 14 juin prochain.

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Comment expliquez-vous que leur venue soit possible et que prévoient-ils lors de leur rassemblement ?

Eux n’ont pas communiqué l’endroit de leur événement. On sait juste que c’est dans le pays de Châteaubriant. Pour pouvoir avoir l’adresse, il faut prendre une place, et ils ne transmettent pas l’adresse à l’avance. On sait qu’ils veulent venir pour présenter le Mouvement chouan (un mouvement catholique identitaire, N.D.L.R.) et recruter des gens, dans un lieu privé. On a alerté la mairie, le préfet, la gendarmerie de Châteaubriant pour interdire l’évènement. La paroisse de Châteaubriant s’est engagée également. Le père Patrice Eon a fait un communiqué sur les réseaux sociaux, pour rappeler justement que les idées d’extrême droite et les idées de l’Action française avaient déjà été condamnées par l’Église et qu’elles n’y ont pas leur place.

Leurs références oscillent entre le nationalisme français et breton. Cela peut paraître contradictoire mais cela permet de ratisser plus large.

C’est essentiel, parce que ces groupuscules tentent de s’appuyer sur des jeunesses catholiques pratiquantes qui pourraient être séduites par ces idées-là, de retour aux sources, etc. Leur venue tient du fait que Châteaubriant est vraiment dans le triangle Angers-Rennes-Nantes, les villes où ils sont actifs. Il y aura, par exemple, des personnes de l’Alvarium qui seront là. Or ce groupuscule, qui n’existe plus maintenant, est sur Angers. Ou encore des gens de l’Oriflamme, qui est basé à Rennes. Outre le fait que leur venue est logique d’un point de vue géographique, il est tout à fait possible qu’ils s’imaginent qu’il n’y aura pas de résistance puisqu’on est à la campagne et que les antifas sont plutôt dans les villes.

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Leur venue est aussi peut-être motivée par l’accès facile à un espace de type propriété familiale. Ils tentent de faire le lien avec la culture bretonne, qui est populaire dans le coin. Leur programme annonce par exemple des jeux bretons. Sur les réseaux ils utilisent une chanson du groupe Matmatah pour annoncer l’évènement. Leurs références oscillent entre le nationalisme français et breton. Cela peut paraître contradictoire mais cela permet de ratisser plus large en termes de recrutement.

En juillet dernier lors de l’événement « Réveillons la résistance ». Le comité du même nom s’est créé pour ce dernier (juin 2024). (Photo : DR.)

Savez-vous comment les habitants de Châteaubriant réagissent à cette venue de l’extrême droite ?

Pour l’instant, lors des tractages, nous avons eu beaucoup de réactions positives pour le rassemblement. Des personnes qui étaient inquiètes et se demandaient comment c’était possible que ça puisse encore exister. On a reçu beaucoup de soutien. On ne sait pas combien de personnes on va pouvoir rassembler ce samedi, sachant qu’on a commencé la mobilisation il y a une dizaine de jours et que l’on a eu vent tardivement de leur événement. C’est là aussi où ils nous prennent de court, mais on a quand même décidé d’organiser un rassemblement public.

Quand on a eu vent de l’événement du Mouvement chouan, on a remobilisé les différents groupes existants, depuis celui de Réveillons la résistance en passant par les gens qui ont fait les législatives pour le NFP ou encore ceux qui s’organisent contre les idées d’extrême droite. Et on a vu que tout le monde répondait très bien et très vite, ce qui est bon signe, car cela nous indique que d’une année sur l’autre, nos mobilisations pérennisent.

On sait qu’on n’en a pas fini avec le combat contre l’extrême droite.

Pour vous, cet événement s’inscrit-il dans une banalisation de l’extrême droite à Châteaubriant ?

L’extrême droite se banalise partout, à commencer dans le débat public via certains médias de grande audience. Au niveau local, c’est difficile à dire. L’année dernière, quand je suis allée tracter pour l’événement Réveillons la résistance, je me souviens que je sentais une certaine crainte à rentrer dans les commerces, à en parler, à me faire rembarrer. Et puis finalement, je me souviens être tombée sur une petite dame dans une boulangerie qui m’a dit que sa grand-mère devait se retourner dans sa tombe. Sur une terre comme Châteaubriant, avec le camp de Choisel [camp d’internement des prisonniers politiques détenus par les nazis, N.D.L.R.], les 27 otages [prisonniers, notamment communistes, fusillés par les nazis le 22 octobre 1941], c’est particulier de se dire que les idées d’extrême droite arrivent à prendre sur des territoires de résistance.

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Après l’évènement de samedi, y a-t-il d’autres actions prévues par votre collectif ?

Avec Réveillons la résistance, on a écrit et lu un serment qu’on compte bien réutiliser cette année, avec une liste d’actions concrètes pour lutter contre les idées d’extrême droite dans nos quotidiens, pas forcément militants, mais dans nos quotidiens d’habitants, d’habitantes, de citoyens, citoyennes. Cela passe notamment par s’investir dans les espaces existants comme les amicales des parents d’élèves à l’école, les comités des fêtes, les clubs de sports, les syndicats etc. Je pense qu’après samedi, il y aura des nouvelles idées et des nouvelles forces vives. Quoiqu’il en soit, on sait qu’on n’en a pas fini avec le combat contre l’extrême droite.

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Société
Publié dans le dossier
Antifascisme, des luttes tout terrain
Temps de lecture : 7 minutes

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